Nous étions une bonne dizaine, tous aussi curieux et ignorants les uns que les autres, à s’être réunis, dans le cadre des « Jeudi Bleus », aux alentours du Foyer municipal de Bordères-et-Lamensans.
Il était 13h30 ; le ciel, contrairement aux prévisions, ne semblait pas décidé à rendre indispensable l’usage des bottes en caoutchouc ; quelques-uns des plus optimistes d’entre nous avaient même fait suivre leurs lunettes de soleil.
Nous attentions sans impatience, spéculant déjà sur les réjouissances à venir, lorsque que notre intervenant, Jean-Pierre, se présenta. Tenue légère, cheveux noués sur l’arrière façon queue-de-cheval, chien aimable toujours sur ses basques : le ton de l’après-midi était donné. Plutôt décontracté !
Jean-Pierre est un homme agréable, joyeux, précieux pour tout dire dans ce contexte de morosité ambiante. Il a pour lui le savoir, le savoir-faire, et avec ça cette volonté de partage sans laquelle ses deux premières vertus seraient deux vertus d’égoïsme.
Il sait intéresser son public, amener tout en douceur des inconnus sur son terrain de prédilection.
Passées les présentations, juste le temps de s’équiper d’un ou deux outils, et nous étions déjà en route. Au programme : cueillette, cuisine, dégustation.
Direction l’inconnu !
C’est qu’il existe près de nous, à quelques mètres, « derrière la porte » pour ainsi dire, un monde oublié de la plupart qui continue néanmoins de mener une existence paisible, loin, très loin des turbulences boursières qui agitent et bouleversent toutes les statistiques prévisionnelles.
Ce monde-là détonne par sa merveilleuse simplicité et son implacable mécanique de survie ancestrale. Ainsi, lorsque le CAC 40 perd en huit mois 40% de sa valeur, l’onagre, dans son infini sagesse, accumule dans sa racine tous les nutriments qui lui permettront ensuite de passer l’hiver.
Mais le plus beau reste à venir, puisque sitôt la belle saison revenue, l’onagre (toujours lui), épuisera ses dernières forces pour lancer, à 60 ou 80 centimètres du sol, une fleur jaune comme un soleil qui ira fertiliser les terres à l’entour.
L’onagre, plante bisannuelle (qui ne fleurit donc que tous les deux ans), est en quelque sorte une fourmi économe qui, le moment venu, se découvrirait un tempérament de cigale.
Alors donc, à condition de manier la pioche avec talent, on peut tirer du sol des racines longues comme la main (et même davantage), larges comme le pouce (et même davantage), qui rappellent assez, une fois nettoyées puis bouillies, la saveur de l’artichaut — à laquelle se serait joint tout de même une petite pointe d’épice.
C’est là l’une des deux racines qu’il nous a été donné de goûter en gratin.
Il faudrait citer, pour être complet sur le menu du soir, les toasts aux pétales de fleurs, la soupe d’ortie, la confiture de cynorrhodon (fruit de l’églantier plus connu sous le nom de gratte-cul), le sirop de sumac etc. etc.
Ne restait plus, après cela, qu'à remercier, embrasser... et laver!